📖 Le Club de lecture Applauz est une série qui met en avant les idées marquantes de livres populaires sur le travail, la stratégie RH et la gestion.
Avez-vous déjà travaillé pour une entreprise qui vous faisait redouter d’aller au travail ?
Je parie que la réponse est un grand oui.
Si vous avez la chance de dire « non », je suis sûr que vous connaissez quelqu’un qui se plaint sans cesse de son travail, de son patron ou de son environnement professionnel.
Autrement dit, il n’est pas difficile de trouver quelqu’un qui est profondément malheureux au travail.
Enquête sur les pratiques de travail modernes
En adoptant une perspective à la fois culturelle et économique, l’auteur Dan Lyons cherche à répondre à une question cruciale : « Pourquoi tant de travailleurs modernes sont-ils malheureux ? »
Son enquête sur les pratiques de travail contemporaines a débuté en 2013, lorsque l’industrie du journalisme a connu une transformation majeure et qu’il a été licencié de son poste de rédacteur en chef technologie chez Newsweek. Comme de nombreux autres journalistes et reporters, Lyons a dû réorienter sa carrière et s’est tourné vers le marketing au sein d’une startup basée au Massachusetts : HubSpot.
Son livre Disrupted: My Misadventure in the Start-Up Bubble (2016) offre un témoignage direct de son expérience au sein d’une entreprise technologique en pleine croissance, sur le point d’entrer en bourse. Mais plus important encore, il dévoile ce qui se cache derrière la façade scintillante de la bière artisanale et des tables de ping-pong. Spoiler : tout n’est pas aussi idyllique qu’il n’y paraît.
Chez HubSpot, Lyons a été témoin de pratiques de travail douteuses, parfois choquantes. Beaucoup semblaient directement inspirées des méthodes en vigueur dans la Silicon Valley. Cela l’a poussé à enquêter sur la manière dont ces pratiques se sont propagées de la Californie du Sud à l’ensemble du pays, voire au monde entier.
Ce qu’il a découvert au cœur de ces entreprises, c’est un modèle défaillant — un système qui nuit activement au bien-être des employés.
Selon Lyons, le capitalisme des actionnaires – l’idée selon laquelle « la seule mission d’une entreprise est d’offrir le rendement le plus élevé possible aux investisseurs » – est néfaste à la fois pour les travailleurs et pour les entreprises elles-mêmes.
Quand la croissance nuit aux employés
Le système actuel favorise une culture toxique : une mentalité de « croissance à tout prix » qui s’est ancrée dans de nombreuses entreprises. Avec l’essor d’Internet et des nouvelles technologies, cet état d’esprit s’est intensifié à un niveau insoutenable.
Le pire, c’est que lorsque les employés sont stressés et anxieux, ces sentiments ne restent pas confinés au bureau. Ils se répandent comme un poison bien au-delà des murs de l’entreprise, affectant la vie personnelle des travailleurs.
Comme le souligne Lyons :
« ...les mêmes personnes de la Silicon Valley qui prétendent vouloir rendre le monde meilleur sont en réalité en train de le détériorer – du moins en ce qui concerne le bien-être des employés. »
Une quête pour rendre le travail moins misérable
Le deuxième livre de Lyons, Lab Rats (2018), est une critique sévère — mais rigoureusement documentée — des pratiques de travail modernes, en particulier celles utilisées par les entreprises technologiques.
Le problème : de nombreuses entreprises considèrent ces géants de la tech et certaines organisations publiques comme des modèles de culture et de gestion d’entreprise.
Pensez à Amazon, Uber et Netflix.
Il y a fort à parier que l’organisation pour laquelle vous travaillez cherche à imiter ces entreprises, ou du moins aimerait le faire.
Mais Lyons met en garde : ces efforts pourraient être mal orientés, surtout si votre objectif est de cultiver une main-d'œuvre heureuse et engagée.
Comme il l’explique :
« Ce que je crains, c’est que dans leur volonté d’imiter la Silicon Valley... les entreprises d’autres secteurs adoptent ses méthodes et ses mœurs, y compris son nouveau pacte avec les travailleurs et sa philosophie stressante et anti-employés. »
Le stress lié au travail : une épidémie
Dès le début de son livre, Lyons met en lumière des données saisissantes (et inquiétantes) sur les symptômes de ce problème de société. Ces chiffres prouvent qu’il ne s’agit pas simplement de pessimisme, mais bien d’un système défaillant qui doit être corrigé.
📊 Quelques chiffres alarmants :
- Seulement 13 % des travailleurs dans le monde se sentent engagés.
- 61 % des employés déclarent que le stress lié au travail les a rendus physiquement malades, et près de la moitié ont dû s’absenter à cause de cela.
- Aux États-Unis, seulement 32 % des employés sont engagés dans leur travail, tandis que 1 sur 5 est activement désengagé.
- 94 % des répondants affirment avoir déjà travaillé avec une personne toxique.
- Au cours des 30 dernières années, la consommation d’antidépresseurs a été multipliée par six aux États-Unis.
Ces statistiques dressent un constat sans appel : le monde du travail moderne est en crise.
Comment pouvons-nous tous faire mieux ?
Dans Lab Rats, Lyons poursuit son enquête en explorant en profondeur les causes du problème, ce qu’il appelle « Les quatre facteurs du désespoir au travail ».
Dans la partie centrale de son livre, il analyse quatre pratiques toxiques qui sont devenues monnaie courante dans les milieux professionnels.
Grâce à des recherches et des entretiens, Lyons démontre que nos modèles de travail actuels ne nuisent pas seulement aux employés, mais compromettent également notre bonheur collectif à long terme.
Ainsi, même si vous ne travaillez pas dans le secteur technologique, ce livre offre de nombreuses pistes de réflexion et des idées concrètes pour aider tous les leaders à bâtir des cultures de travail saines, durables et, surtout, centrées sur l’humain.
Les 4 facteurs du désespoir au travail
Facteur 1 : L’Argent
Lyons commence par le coupable le plus évident : l’argent. Plus précisément, il met en lumière l’inégalité croissante des revenus comme l’une des principales causes du mal-être des employés aujourd’hui.
Bien sûr, l’évolution de carrière et la reconnaissance jouent un rôle clé dans l’engagement et le bonheur des travailleurs. Mais la rémunération de base reste un facteur déterminant.
De nombreuses entreprises se félicitent de rémunérer leurs employés de manière équitable. Pourtant, dans la réalité, ce qui est considéré comme un salaire juste ne permet souvent que de survivre, et non de vivre confortablement.
Pourquoi ? Parce que les salaires des employés, ajustés à l’inflation, stagnent (ou régressent) depuis des décennies.
Autrement dit, les salaires ne suivent pas l’augmentation du coût de la vie. Lyons cite une étude révélatrice : les milléniaux gagnent en moyenne 20 % de moins que leurs parents au même âge.
D’ailleurs, selon une enquête menée par Software Advice, les employés identifient les salaires comme le premier domaine où ils aimeraient voir leur entreprise s’améliorer.
Facteur 2 : L’Insécurité
Dans Lab Rats, Lyons explique que la sécurité de l’emploi était autrefois une priorité pour les dirigeants. Pourtant, selon lui, ce n’est plus le cas dans de nombreuses entreprises aujourd’hui.
Il donne plusieurs exemples troublants d’entreprises qui utilisent la peur du licenciement comme un levier de motivation pour leurs employés.
L’idée que quelqu’un d’autre peut facilement prendre votre place est souvent insinuée, voire explicitement communiquée, aux employés.
Cette approche s’appuie sur un mythe populaire : celui selon lequel les jeunes travailleurs aiment changer fréquemment d’emploi. Pourtant, de nombreuses études réfutent rapidement cette idée.
Lyons est du même avis : il affirme que la sécurité est un besoin humain fondamental et que l’insécurité professionnelle nuit aux employés, tant mentalement que physiquement.
En résumé, cette tactique à court terme finit par se retourner contre l’entreprise elle-même.
Pour appuyer son argument, Lyons cite la psychologue Tinne Vander Elst, dont les recherches montrent que l’insécurité de l’emploi est corrélée à :
- Une diminution de la créativité,
- Une baisse globale des performances et de la productivité,
- Une augmentation des cas de harcèlement au travail.
En fin de compte, la sécurité de l’emploi est un élément clé de l’engagement des employés. Sans un sentiment de sécurité, il est impossible de s’épanouir au travail.
Facteur 3 : Le Changement
Il ne s’agit pas ici du changement naturel et progressif que l’on pourrait observer dans une jeune entreprise. Dans Lab Rats, Lyons explique que dans notre monde hyper-compétitif et axé sur la technologie, les entreprises poussent le changement à un niveau extrême. Pour lui, ce modèle est tout simplement insoutenable.
Les entreprises testent en permanence de nouvelles directives, processus, tendances en gestion, technologies, et bien plus encore.
Cette mentalité du changement perpétuel est alimentée par une culture de travail qui « glorifie le surmenage, l’épuisement et le stress ». Les entreprises technologiques sont particulièrement coupables de cette tendance.
Aujourd’hui, « une grande organisation peut mener entre vingt et trente initiatives de changement en même temps », affirme Gary Rees, professeur de gestion et auteur de l’étude Continuous Change and Organizational Burnout.
Lyons s’appuie sur ces recherches et d’autres études pour démontrer les effets psychologiques néfastes du changement constant.
Les professeurs en gestion Bruch et Jochens ont publié un article populaire dans la Harvard Business Review intitulé "The Acceleration Trap" (Le piège de l’accélération). Ils y proposent une idée simple mais puissante :
« Traiter les gens avec humanité signifie ralentir. »
Lyons partage pleinement cette vision. Il veut que les dirigeants prennent conscience de l’impact profond du changement incessant sur les employés.
Si l’objectif est de créer un environnement de travail qui favorise la santé mentale et le bien-être des employés (et de réduire les risques d’épuisement), il propose une idée radicale : ralentir.
Facteur 4 : La Déshumanisation
En 2020, la technologie a envahi le monde du travail moderne. Lyons clôture ses « Quatre facteurs du désespoir au travail » en critiquant cette tendance inquiétante.
Selon lui, l’omniprésence des outils numériques transforme le travail en « une immense machine électronique bourdonnante dans laquelle les humains ne font que se brancher ».
Les travailleurs occupant des emplois axés sur des tâches répétitives connaissent bien cette réalité.
Par exemple :
- Amazon utilise des logiciels pour suivre et optimiser les performances des employés dans ses entrepôts.
- Dans les centres d’appels, les employés interagissent rarement avec un vrai gestionnaire. C’est une machine qui leur indique s’ils atteignent leurs quotas ou s’ils sont en retard.
Ces emplois sont répétitifs par nature et peuvent être démoralisants. Mais être réduit à un simple rouage dans une machine aggrave encore les choses. C’est une expérience profondément déshumanisante.
Il n’est donc pas surprenant que ces types de postes affichent des taux de roulement très élevés.
Même si ces technologies permettent aux entreprises d’économiser du temps et de l’argent à court terme, leur impact psychologique à long terme est indéniable.
Lyons cite des recherches montrant que les travailleurs déshumanisés ressentent :
- De la honte et de la culpabilité,
- Une diminution des capacités cognitives,
- Des émotions négatives persistantes comme la tristesse et la colère.
La conclusion est claire
Lorsqu’une entreprise surveille constamment ses employés à l’aide de la technologie, qu’il s’agisse d’un agent de centre d’appels ou d’un représentant des ventes, cela mine progressivement leur sentiment de liberté et d’autonomie.
Le stress accumulé a un effet insidieux sur leur santé.
Avec le temps, les symptômes émotionnels se transforment en douleurs physiques, maladies et épuisement professionnel.
7 règles pour bâtir une culture de travail saine, équilibrée et épanouissante
Lab Rats ne se limite pas à la critique. Dans la dernière partie de son livre, Lyons adopte une approche plus optimiste et propose des solutions concrètes.
Il met en lumière une nouvelle vague d’entreprises et d’entrepreneurs, dont Yvon Chouinard, cofondateur de Patagonia.
Patagonia, reconnue pour sa culture d’entreprise exemplaire, suit un modèle économique que Chouinard considère comme équitable et durable, où la valeur est redistribuée à tous.
Si cette vision vous interpelle ou si vous souhaitez bâtir une culture de travail florissante — à l’image de Patagonia —, Lyons recommande d’appliquer ces sept principes fondamentaux.
1. Investir davantage dans l'humain
Comme le dit Lyons : « Faites des travailleurs de vrais employés plutôt que des sous-traitants. » Il affirme que les entreprises doivent investir davantage dans leurs employés. Cela signifie offrir :
- Des salaires justes et compétitifs
- Des formations continues pour favoriser la croissance professionnelle
- Des avantages sociaux qui améliorent la qualité de vie
Lorsque les employés se sentent reconnus et justement rémunérés, ils sont naturellement plus productifs, engagés et fidèles à l’entreprise.
2. Ralentir
Ne tombez pas dans le « piège de l’accélération ». Aller trop vite, trop fort est une erreur. Un rythme effréné submerge les employés et nuit, à long terme, à leur bien-être et à leur productivité.
Comme le souligne Lyons : « Accordez du répit aux employés entre deux initiatives de changement. »
Les solutions ?
- Offrir plus de flexibilité dans l’organisation du travail
- Espacer les changements pour éviter l’épuisement
- Encourager le repos pour favoriser l’engagement et l’efficacité
Le repos n’est pas un luxe, mais une nécessité pour une entreprise performante et des employés épanouis.
3. Instaurer un sentiment de sécurité
Le stress constant ressenti par les employés lorsqu’ils se sentent en insécurité – physiquement ou émotionnellement – nuit à leur performance et les pousse à prendre de mauvaises décisions.
Créer un environnement sécurisant, c’est :
- Garantir une certaine stabilité d’emploi pour réduire l’anxiété
- Encourager une culture de soutien et d’empathie
- Minimiser les émotions néfastes comme l’inquiétude, le doute et la peur
Lorsqu’un employé se sent en sécurité, il est plus engagé, plus créatif et plus performant.
4. Moins de technologie, plus d’humain
Lyons recommande de réaliser un audit technologique :
- Évaluez chaque outil : apporte-t-il une réelle valeur ajoutée ?
- Supprimez les logiciels inutiles ou inefficaces
- Soyez prudent avec l’automatisation : certaines technologies nuisent au bien-être et à la productivité à long terme
Écoutez vos employés : demandez-leur si ces outils les aident réellement ou s’ils ajoutent du stress et de la frustration.
La technologie doit simplifier le travail, pas le compliquer.
5. Réduire l’écart
Rapprochez les employés de première ligne des gestionnaires et des dirigeants. Une organisation empathique repose sur une meilleure compréhension mutuelle.
Comment y parvenir ?
- Encourager les échanges directs entre les employés et les dirigeants
- Favoriser la rotation des postes pour mieux comprendre les réalités du terrain
- Faire en sorte que les managers vivent l’expérience des employés de première ligne
Comme le suggère Lyons :
« Imaginez à quel point Amazon traiterait ses employés avec plus d’humanité si Jeff Bezos et ses cadres passaient une semaine par an à emballer des colis… »
Un leadership empathique commence par une immersion dans la réalité des travailleurs.
6. Prioriser une rentabilité durable
Selon Lyons, la mentalité « croître rapidement, perdre de l’argent, encaisser et partir » doit disparaître si l’on veut bâtir une culture de travail réellement centrée sur le bien-être des employés.
Ce modèle pousse uniquement les entreprises à maltraiter leurs travailleurs pour maximiser les profits à court terme.
La solution ?
- Adopter une croissance stable et responsable
- Éviter la recherche effrénée de l’expansion à tout prix
- Favoriser l’autofinancement aussi longtemps que possible
Une entreprise rentable ne doit pas se faire au détriment du bien-être des employés.
7. Respecter la règle d’or
Traitez les autres comme vous aimeriez être traité — une règle de base qui devrait s’appliquer en entreprise.
Pour Lyons, cela signifie que les dirigeants doivent :
- Faire preuve de considération et de gratitude envers leurs employés
- Exprimer régulièrement leur reconnaissance pour le travail accompli
- Valoriser le temps et l’engagement des employés
L’appréciation et la reconnaissance ne sont pas des extras — elles sont essentielles pour bâtir une culture de travail saine et épanouissante.
Conclusion
De nombreuses entreprises tentent de calquer leur culture d’entreprise sur celle des géants de la tech, pensant qu’elles représentent l’excellence en matière de gestion.
Mais ce qu’elles ne voient pas, c’est l’envers du décor : les décisions de ces entreprises sont souvent dictées par les investisseurs et le financement, ce qui crée un modèle de travail toxique, contre-productif pour le bonheur des employés et la réussite à long terme des startups.
Lyons est convaincu que les mentalités évolueront bientôt. Nous prendrons pleinement conscience de la manière dont cette course effrénée à la croissance a dégradé le monde du travail. Mais plus encore, nous réaliserons son impact négatif sur le bien-être collectif de notre société.
Heureusement, ce changement a déjà commencé.
Aujourd’hui, les consommateurs et les employés observent attentivement les actions des entreprises.
- Ils demandent plus d’éthique et de responsabilité sociale.
- Ils sont plus exigeants dans leur choix d’employeur et de marque.
En conséquence, une nouvelle génération d’entrepreneurs émerge. Ces entreprises adoptent des modèles économiques durables, misant sur une croissance équilibrée plutôt qu’une expansion démesurée.
Lyons reste optimiste quant à l’avenir : bientôt, les entreprises privilégieront les « Zèbres » aux « Licornes », soutenant des modèles plus humains et viables sur le long terme.
À propos de l'auteur
Michelle Cadieux
Michelle est gestionnaire de contenu chez Applauz. Elle est diplômée en psychologie de l'Université Concordia et rédige des articles sur le travail et le bonheur des employés depuis plus de cinq ans. Durant ses temps libres, elle apprécie cuisiner des plats italiens traditionnels et regarder des documentaires.